Cass. Soc., 12 décembre 2012, 11-14.823
Requalification en CDI, en l’absence de contrat initial écrit.
Il ne fait aucun doute qu’en l’absence de contrat écrit, la relation de travail est réputée être à durée indéterminée. L’écrit est en effet, pour les CDD et les contrats d’intérim, une condition impérative posée par l’article L.1242-12 al.1 du Code du travail, qui permet de contrôler, via l’ensemble des mentions obligatoires (cas de recours, durée du contrat et échéance, possibilité de renouvellement…), la conformité de la relation de travail à l’ensemble des exigences légales, réglementaires et conventionnelles. La mécanique est implacable : pas d’écrit ? Donc CDI !
Il y en a une autre, tout aussi implacable : la requalification en CDI. Cas de recours non conforme ? Requalifié CDI. Succession irrégulière de CDD ? Requalifié CDI. Au moindre problème affectant les qualités essentielles du CDD, le couperet tombe : requalifié CDI.
Normalement, ces deux logiques devraient être exclusives l’une de l’autre : la requalification transforme un CDD initial, peut-être irrégulier mais en tout cas existant, donc écrit. Supposer l’absence d’écrit, rendrait alors la requalification sans objet… certes. Sauf que ce n’est pas du tout le point de vue de la Cour de cassation.
En l’espèce, un joueur de football ne disposait d’aucun contrat de travail écrit avec son club. Il engagea néanmoins une action en requalification, car à l’origine, il aurait été convenu entre les parties que la relation de travail serait à durée déterminée (ce qui parait sensé vu les usages dans le milieu du football professionnel). En appel, le sportif fut débouté. Mais pour la Cour de cassation, l’indemnité de requalification est légitime.
« (…) En l’absence d’écrit, le salarié à la faculté de prouver, au soutien d’une demande de requalification en contrat à durée indéterminée, que les parties avaient entendu conclure un contrat à durée déterminée (…) ».
Contrat solennel (car soumis à des formalités dont l’inobservation est sanctionnée par la nullité absolue), la théorie veut pourtant que pour former un CDD, la rencontre des volontés ne suffit jamais. A quoi bon « prouver » l’intention des parties, puisque la seconde condition impérative n’est pas remplie et ne le sera jamais ? Si la Cour admet la requalification, cela signifie-t-il qu’elle s’appuie sur les éléments versés par le salarié pour créer un CDD fictif sur lequel le juge peut opérer la requalification ?
Les choses sont plus simples. Le raisonnement de la Cour d’appel n’est pas admis car il suppose que la requalification est une technique de rétablissement de la vérité juridique. Si elle peut avoir de tels effets, lorsqu’un CDD existe précisément, ce n’est toutefois pas sa vocation première. La requalification est avant tout une sanction, et à ce titre-là, elle a vocation à s’appliquer y compris en l’absence de CDD.
Souvenons-nous des jurisprudences antérieures de la chambre sociale : les dispositions relatives aux CDD étant édictées dans un souci de protection du salarié, seul ce dernier peut se prévaloir de leur inobservation et, en particulier, prouver que le contrat conclu verbalement est à durée déterminée (Cass. Soc., 10 juillet 2002, 00-44.534).
Le joueur de football a raison de chercher à démontrer l’intention initiale des parties, car ces éléments caractérisent la faute de l’employeur, et permettent d’apprécier le préjudice qui sera indemnisé (au minimum 1 mois de rémunération brute). Le club a créé l’illusion d’un CDD légitime, à partir de laquelle le salarié a identifié le périmètre de ses droits et obligations. Les conséquences sont nécessairement importantes.
La présente décision rappelle donc, en ces temps de difficiles pour l’emploi, que la requalification est un mécanisme de régulation éthique qui a vocation à s’appliquer dans toutes les situations qui impliquent un CDD, qu’il soit juridiquement existant ou qu’il s’agisse d’une illusion. Elle est une Epée de Damoclès au-dessus des entreprises qui recourent à ces contrats ; une incitation à toutes les précautions lors de l’établissement des contrats, et bien sûr durant le temps de leur existence.